Le point sur le solaire photovoltaïque
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Le point sur le solaire photovoltaïque (filière , couches minces, perovskites). Les analyses de Benoît Lombardet et Daniel Lincot.
Benoît Lombardet
L’essor du solaire photovoltaïque dans le monde
La croissance du solaire photovoltaïque dans le monde est-elle sans limites ? Depuis 15 ans, la filière à base de connaît une progression exponentielle et de nouvelles technologies ouvrent des horizons prometteurs. Benoît Lombardet, directeur R&D Electricité, OneTech chez TotalEnergies, analyse les perspectives de cette énergie d’avenir.
En plein essor depuis une quinzaine d’années, la place du solaire photovoltaïque dans l’énergie mondiale se mesure par la capacité installée en gigawatts (GW), c’est-à-dire en milliards de watts. En 2018, plus de 100 GW ont été installés, ce qui a permis de dépasser le seuil des 500 GW de capacité cumulée installée sur la planète. Pour 2030, les scénarios varient beaucoup, entre 1 300 GW pour les moins optimistes et 5 000 GW pour les plus optimistes, soit entre 1,3 et 5 térawatts (TW, milliers de milliards de watts). De GW à TW, le changement d’unité utilisée est révélateur…
Initié au départ par l’Allemagne, le développement du secteur est entraîné aujourd’hui par les deux pays les plus peuplés de monde, la Chine, très en tête, et l’Inde. Les États-Unis et l’Europe viennent ensuite, à un rythme également soutenu. La demande croissante d’énergie, notamment électrique, par la population mondiale et la prise de conscience du dérèglement climatique ont accéléré le développement des comme le solaire et l’éolien, devenues compétitives par rapport aux solutions traditionnelles. Aujourd’hui, les capacités solaires photovoltaïques se répartissent à parts égales entre les grandes fermes solaires et les systèmes intégrés au bâti.
Y a-t-il des limites au développement du photovoltaïque ?
Il n’y en a pas en termes de matériaux. Aujourd’hui, la technologie dominante à plus de 95 % utilise comme matériau de base le silicium, qui est le deuxième élément le plus abondant sur terre. Ensuite, des métaux sont utilisés pour extraire l’ des cellules et du panneau : cuivre, aluminium et argent. Seul ce dernier pourrait limiter le développement de la filière, mais les technologies progressent et les quantités nécessaires pour fabriquer un panneau diminuent rapidement. Les technologies couches minces utilisent des éléments beaucoup plus rares comme l’indium et le gallium, et donc il peut y avoir un frein lié à la disponibilité de ces ressources. Mais la croissance des couches minces est aujourd’hui surtout limitée par l’attractivité de la filière du silicium. Celle-ci a bâti un écosystème très puissant, très standardisé, et qui, par son échelle et ses volumes, a atteint des coûts de fabrication extrêmement compétitifs qui dressent un mur face aux nouveaux entrants.
L’importance des coûts sur la durée
La question des coûts est essentielle dans le développement des filières et elle est intimement liée à l’écosystème de production. Depuis 1976, les coûts de production ont baissé en moyenne de 24 % chaque fois que la capacité de production mondiale a doublé. La tendance s’est même accélérée depuis 2008 avec une baisse annuelle entre 10 et 20 %. Les acteurs de la filière silicium ont tiré parti de cette relation économique et ils continuent de pousser les performances de leurs produits, même s’ils se rapprochent désormais de certaines limites théoriques.
Une rupture pourrait se produire dans les prochaines années avec le développement d’une nouvelle famille de matériaux photovoltaïques très prometteuse : les perovskites. Peu coûteux, ils permettent d’obtenir des rendements élevés avec un procédé de fabrication plus simple que celui du silicium. Face à ces promesses, des efforts de recherche considérables sont déployés sur cette technologie et les progrès réalisés sont spectaculaires. En laboratoire, en termes de performances pures, les perovskites se rapprochent désormais des rendements du silicium. Mais leur stabilité dans le temps est encore trop limitée et doit être grandement améliorée pour constituer une alternative attractive aux technologies silicium capables de garantir leurs performances sur 25 ans.
Les limites de la filière silicium
Il y a bien sûr des limites au développement de la filière silicium.
D’abord en termes de logistique. Pour atteindre des niveaux de production de plusieurs centaines de GW par an, il faudra construire beaucoup de nouvelles unités de fabrication, de chaines logistiques et bien sûr s’assurer que l’énergie utilisée pour les faire fonctionner est bas carbone.
La deuxième limite dérive de la première. C’est la disponibilité des investissements. Il faut investir aujourd’hui environ 500 millions d’euros sur toute la chaine de valeur pour augmenter sa capacité de production d’1 GW/an. Avec la réduction des coûts et la guerre des prix qui a lieu sur la filière, il est très difficile de gagner de l’argent pour les fabricants de panneaux ! Motiver des investisseurs quand la rentabilité est faible n’est pas chose facile, même en Chine….
Enfin, comme cela a été souvent souligné, les réseaux électriques devront être adaptés pour pouvoir absorber des quantités croissantes d’électricité renouvelables issues par nature de sources intermittentes. Pour dépasser un taux de pénétration de 20 %, il faudra développer des capacités de stockage et modifier en profondeur la manière dont nous gérons le réseau électrique et la consommation.
L’essor du photovoltaïque va donc de pair avec le développement de solutions pour le stockage de l’électricité (batteries, , etc) et pour la gestion intelligente de réseaux électriques de plus en plus complexes.
Né en 1977 et diplômé de l’Ecole Polytechnique, Benoît Lombardet est Directeur R&D Electricité, OneTech chez TotalEnergies depuis septembre 2021.
Daniel Lincot
Photovoltaïque : la longue chaîne de la recherche à l’industrie
La filière du solaire photovoltaïque est portée par une recherche mondiale très active et un marché économique en expansion continue. Daniel Lincot, Directeur de recherche émérite au CNRS, explique cette interaction stratégique entre l’industrie et la recherche.
La recherche dans le domaine du solaire photovoltaïque est en effervescence dans le monde entier. La raison en est la vaste étendue des champs d’études. Ils vont de la recherche fondamentale sur les interactions entre les photons de la lumière et la matière jusqu’à l’innovation dans les applications industrielles. Donc de la physique quantique jusqu’à la composition des résines qui encapsulent les cellules et donc améliorent leur durée de fonctionnement.
Du chercheur à l’installateur de systèmes solaires, du laboratoire au marché, il y a une longue chaîne entre la recherche académique et l’industrie, qui donne une accélération surprenante aux progrès technologiques du secteur. Cette chaîne est essentielle. Il ne faut pas de chaînon manquant.
Les grandes catégories de cellules
Historiquement, tout a commencé par la technologie dite de première génération fondée sur le silicium. C’est toujours la technologie dominante, à 95 %. Elle a conquis le monde, avec un coût qui n’a cessé de décroître. Les cellules qui constituent les modules peuvent être au silicium monocristallin avec des rendements1 records en laboratoire qui montent à plus de 25 % (250 W par m2 pour 1000 W de lumière incidente). Le record absolu est japonais, avec 26,6 %. Les cellules peuvent être aussi à silicium polycristallin (les plus bleutées), qui sont plus faciles à produire mais avec des rendements records un peu plus faibles, autour de 22 % en laboratoire2.
Plutôt que de couper dans des lingots de fines lamelles de silicium d’environ 0,2 mm (200 microns), appelées « wafers », il est apparu très tôt intéressant aux chercheurs de préparer les cellules sous forme de couches minces de matériaux photovoltaïques directement déposées sur un support à bon marché comme le verre. Des couches cent fois plus minces (quelques microns) que les wafers de silicium sont ainsi utilisées avec le matériau CIGS (un alliage à base de cuivre, d’indium, de gallium et de sélénium). Elles ont atteint des rendements d’environ 23 %3. On est déjà plus élevé que le silicium polycristallin. Avec une autre technologie au tellurure de cadmium (CdTe), on atteint en laboratoire plus de 22 %4. Ces technologies en couches minces, qui représentent un peu moins de 5 % du marché mondial, sont donc en train de creuser peu à peu leur sillon et leurs rendements tendront à faire jeu égal avec ceux du silicium. Or elles ont des processus de fabrication moins complexes, et donc peu onéreuses une fois qu’elles auront atteint une production à grande échelle.
Ces approches en couches minces ont été elles-mêmes révolutionnées il y a quelques années avec les progrès spectaculaires des cellules à base de matériaux organiques, contenant du carbone. Ainsi s’est ouvert le domaine de l’OPV (photovoltaïque organique), comme les OLED dans le domaine de l’éclairage. Ces cellules, imprimables, relèvent de techniques et concepts de chimistes. Elles utilisent des molécules colorées, qui fonctionnent à l’image de la naturelle. C’est une technologie potentiellement à très bas coût, à des rendements autour de 6 %, en progrès constants, qui conviennent à des marchés de niche.
Ce domaine, qui est un véritable « bouillon de culture » de recherches, a débouché dans les cinq dernières années sur la naissance d’une véritable « star » : la filière à base de matériaux « hybrides » intermédiaires entre les matériaux classiques et les matériaux organiques : les perovskites (à base de iodure de méthylammonium de plomb). Ceux-ci atteignent plus de 23 % en laboratoire (Suisse, Corée, Chine)5, ouvrant de larges perspectives d’avenir même s’il reste encore des problèmes à résoudre pour les chercheurs.
Vers les multi-jonctions
Le progrès technologique dans le solaire photovoltaïque est donc fait de vagues successives, il ne s’agit pas d’une simple amélioration continue à petits pas. D’autant qu’une nouvelle rupture se profile. Les chercheurs du monde entier sont engagés dans une course au rendement. Et ils connaissent le nom du gagnant : les cellules multi-jonctions au lieu des simples jonctions actuelles. Par exemple, si on prend une cellule silicium et que l’on pose dessus une cellule couche mince adaptée, on va avoir une double jonction, une cellule « tandem », avec un rendement qui pourrait atteindre … 43 %. Un saut énorme. En laboratoire, un rendement de 46 % a déjà été réalisé avec 4 jonctions.
Cette marche en avant n’oublie jamais les conditions économiques. La question du coût final de l’électricité produite est ainsi un souci permanent. A l’IPVF, nous suivons un programme phare que je citerai car il est symbolique. C’est le programme 30-30-30. Un rendement de 30 %, en 2030, à un coût de 30 centimes d’euros par Watt…et pour cela on vise ces technologies « tandem » combinant silicium et couches minces, une belle convergence à creuser !
Daniel Lincot est Directeur de recherche émérite au CNRS et professeur invité au Collège de France. Il a été directeur scientifique de l'Institut Photovoltaïque d'Ile-de-France (IPVF) jusqu’en 2019, année de sa retraite. L’IPVF, créé en 2013, a pour objectif d’améliorer les performances et la compétitivité des cellules photovoltaïques. Diplômé de l'ESPCI ParisTech, Daniel Lincot a travaillé sur la photo-électrochimie des semi-conducteurs et a supervisé la création d'une filière de production par électrolyse de cellules solaires en couches minces.
- Le rendement est le rapport entre l’énergie électrique produite et l’énergie lumineuse qui tombe sur le module.
- 22,3 % au Laboratoire Fraunhofer ISE en Allemagne.
- 23,35 % en record récemment à Solar Frontier au Japon
- 22,1 % avec First Solar aux USA
- Le record est à 23,7%